Exile
"Troisieme horizon du cinquieme cycle de la Lune d'émeraude
Bonjour, lecteur(ice) insolite,
Je m'appelle Naïryha et mes traits s'apparentent à la race des elfes noirs. Inutile de dire que pour certains je suis d'une beauté pure et gracieuse, et pour d'autre simplement sexy. Je suis aussi archère.
Pour nombres de ceux qui ont déjà parcouru le monde en long et en large, le début de ma vie (étant encore jeune, je n'ai que 123 ans) restera parfaitement banal, sans grand intérêt. Pourtant c'est lui qui m'a mené sur les Terres de Mélynéa. Sans les évènements de mon adolescence, jamais je n'aurais connu le goût des grands espaces, des combats parmi monstres et légendes.
Ha, mon enfance...
Je suis née dans un village d'elfes noirs (quoi de plus logique) nommé Mandelaldora au coeur presque ténébreux d'une forêt d'erquoïas, arbres magiques (et magnifiques) uniques en ce monde. Chaque matin la rosée perlait gracieusement sur les arcades sculptées de nos résidences. Je m'en souviens comme si c'était hier.
L'automne était la saison la plus magnifique, où les feuilles d'un pourpre très sombre tournoyaient dans l'ombre des grands troncs, et les cendres virevoltaient parmi le paysage d'ébène de notre village...
Mon enfance commença dans le bonheur (ce qui en soi est assez rare pour certaines contrées). On m'éleva dans une famille assez nombreuse où régnait la bonne humeur et la confiance. Nous avions bien sûr nos devoirs rituels, parfois douloureux, mais ce n'étaient que des mauvais moments à passer (je n'ai pas trop envi de m'étendre sur ce sujet). Bref, nous passions nos journées à jouer dans la forêt, à rêvasser sur les tapis de mousses des aventures de grands héros, apprendre les cultures de notre monde (apprendre aussi l'art du combat bien entendu). Jusqu'à un soir d'automne que toute ma vie je maudirai…
Une superbe nuit où nous tournoyons, courrions, sautons parmi le pourpre végétal satiné de notre habitat sous la lumière filtrée de la Lune. Une pleine Lune où l'on arrive à lire les signes des mers, à percevoir les cratères profondément enracinés.
Nous courrions, mes frères et moi, dans la nuit dansante sous les cieux végétaux.
Nous courrions à nous en perdre haleine.
Je ne sais quelle folie nous a prise ce soir là d'aller si tard et si loin du village, mais déjà plusieurs lieues nous en séparaient lorsque nous décidâmes de rentrer. Mais quelque chose nous retenu, un pressentiment, la perception d'une force inconnue dans cette forêt qui n'avait plus de secrets pour nous.
Un scintillement dans la pénombre, des ombres qui se mouvaient…
Des traces de pas aisément perceptibles…
Un groupe avait violé notre sanctuaire forestier, et ce n'était pas des elfes. Avec la plus grande vigilance et discrétion que notre jeune age le permettait, nous suivîmes la piste sur une centaine de mètres. Parmi le bruissement du feuillage, nous percevions inconsciemment déjà de doux murmures.
Nous nous postâmes derrière un buisson, invisibles dans l'écran de nature et ce que nous vîmes nous marqua à vie…
Au coeur d'une minuscule clairière, tous en arc de cercle, se trouvaient réunis une trentaine d’Hommes Lézards reconnaissables à leur peau écailleuse. Et devant cette assemblée se trouvait, sur un vieil autel couvert de mousse, une jeune elfe noire, sans aucun doute de notre village...
Un instant je vis mon propre reflet catapulté au milieu de ces fanatiques.
Ses longs cheveux blancs, ses traits fins et doux, son nez aquilin, ses yeux émeraude, ses lèvres douces et les courbes très féminines de son corps ne laissait aucun doute...
C'était ma soeur jumelle. Quelques heures auparavant je l’avais embrassée avant de partir avec mes frères, et je la retrouvais maintenant, pétrifiée de peur, sa poitrine se soulevant péniblement, face à son destin tragique.
Lorsque les cendres tourbillonnent, que les feuillent tombent mollement et que l'ombre du côté obscure de la Lune s'abaisse sur vos épaules, l'aura de la mort est toujours proche.
La brise caressa nos visages. La cime des arbres fit disparaître les derniers rayons de Lune.
Dans l'ombre je perçu un instant le prêtre des hommes lézards porter un poignard, au dessus de ma soeur en larmes, qui vint alors, dans un écœurant chant rituel, trancher sa gorge. Elle tomba lentement dans le liquide pourpre qui battait la mesure des litanies des hommes lézards.
Mes frères ne purent supporter le spectacle d'un tel crime.
Ils bondirent au coeur de la clairière, la fureur pour courage, leur dague pour arme. Dans le combat inextricable et violent, beaucoup moururent. Et, malgré un glorieux combat, mes frères tombèrent tous au sol, terrassés par le nombre.
Comme une lâche, pétrifiée d'horreur, je restais cachée. Ce fut pour moi des minutes qui passèrent comme des heures, des heures de cauchemar.
Puis un flash lumineux m'éblouit. Cachant mes yeux des évènements, je su alors que tout avait pris fin : le calme était revenu dans la clairière.
Les hommes lézards, même morts, avaient tous disparus.
Dans l'ombre des erquoïas, sur un tapis de pourpre, parmi les tourbillons de cendres et la féerie des feuilles, reposaient les corps de tous les miens, inanimés, sans vie qui jamais plus ne courraient sous les cimes majestueuses. Jamais plus ne me feraient de farce derrière les troncs morts.
On me retrouva pleurant sur mes êtres si chers. Nous fîmes ensuite le deuil de ces pertes si terribles. Mais rapidement dans le village le vent courut que j'avais assassiné volontairement mes propres frères et sœurs, toutes les traces des hommes-lézards ayant mystérieusement disparues.
Face à ses monstres que je croyais être mes amis, je ne pu me défendre. Un matin, l'ex-fiancé d'un de mes frères défunts tenta de m'assassiner. Luttant pour ma survie, sous mes coups désespérées elle y laissa, elle aussi, la vie.
La situation devenant complètement hors de contrôle, je m'enfuis quelques heures plus tard, exilée, à la recherche d’une Terre où je pourrais porter mon deuil en paix et oublier ce passé si morbide.
Ce qui est intéressant, c'est que lorsque j’ai tué pour la première fois un être intelligent, cette elfe noire, je ressenti un incroyable plaisir de vengeance, et je sus dès ce jour que la mort allait croiser de nombreuses fois mon chemin.
Il est par ailleurs évident que, depuis cette nuit maudite, je méprise tout homme-lézard qui passe sur mon chemin, ma quête de revanche sur ce monde qui m’a trahit.
Et dans mes pâles pérégrinations qui jusqu'à ce jour n'ont point portées leur fruit, j'ai abouti maintenant ici, à Mélynéa.
Lecteur(ice), excuse moi si avec mon histoire je t’ai ennuyé(e), mais telle elle est et je ne peux modifier mon passé.
Naïryha »